Donnez rendez-vous à la surprise
Mon inclination personnelle me porte spontanément vers la lettre mais il arrive que le chiffre dessine quelques lignes de force dont il serait regrettable de faire l’économie.
Plus de 225 rendez-vous ontété pris au centre de consultation psychanalytique de Montpellier depuis la première semaine de Septembre 2003. Le travail que je présente ce soir porte sur les cinquante personnes reçues jusqu’à la mi-Novembre.
Les consultants sont âgés de 20 à 82 ans. Ont été accueillis 38 femmes et 12 hommes.
Historique & motivations
Sur ces 50 personnes :
- 23 ont déjà rencontré des psys
- 6 ont déjà fait une tranche d’analyse
- 1 une psychothérapie familiale
- 1 une programmation neurolinguistique et une psychothérapie cognitive
- pour les 15 autres, ça va de 1 à quelques séances de psychothérapies en face à face
- Pour 27 personnes, c’est donc la première rencontre avec un psy
S’agissant du motif de la démarche :
- 19 personnes sont venues demander des noms et des adresses
- 3 parce qu’on leur a conseillé de venir
- 2 pour vérifier si le psy de leur fille est compétent
- 1 pour trouver un guide spirituel
- 1 autre pour avoir un enfant
- 1 jeune homosexuelle pour parler de son anorexie
- 1 jeune homme pour faire la différence entre les différents psys
- 22 pers. sont venues pour parler et avoir un conseil
- 1 seule a fait ouvertement allusion à la gratuité
- 1 autre a exprimé son désir d’être analyste
Soufrances constatées
La souffrance de ces différents consultants se décline selon trois grands axes :
- L’angoisse, souvent massive
- Ce que nos concitoyens appellent « dépression »
- Pour 8 cas sur 50, il s’est agi du ravage de la relation mère fille
- Enfin pour six cas, il s’agissait d’une psychose avérée.
Voie professionnelle
Professionnellement, les consultants se répartissent comme suit :
- 5 appartiennent au secteur commercial
- 3 sont des intermittents du spectacle, dont un clown
- 14 sont des salariés non cadres du privé
- 10 sont des salariés du public dont deux cadres
- 8 sont enseignants dont 1 à la retraite
Nous avons également accueilli :
- 1 chercheur au CNRS
- 1 médecin pédiatre
- 1 directrice de Maison pour Tous
- 1 infirmière DE
- 6 sans emploi dont 4 au chômage
Après les visites
Sur les 50 personnes rencontrées :
- 5 ont commencé une cure
- 2 sont en entretiens préliminaires
- 5 ou 6 rendez-vous sont en attente d’être reçus
- pour tous les autres, nous n’avons pas connaissance d’une suite donnée pour le moment, ce qui ne signifie pas qu’il n’y en ait pas eu.
Remarques
Cet accueil nous confronte à une pratique nouvelle dont nous n’avions jusque là aucune expérience. Tandis que dans nos cabinets respectifs, nous confions aux ailes du temps le soin de nous enseigner sur le cas, au centre de consultation, la donne est bouleversée. La rencontre y est unique. On ne se reverra pas. La temporalité s’inscrit dans une autre logique, dès lors que le consulté sait par anticipation qu’il lui faudra conclure. L’acte est requis d’emblée.
Les psychanalystes consultés y sont aidés par ce dont ils témoignent unanimement, à savoir : la confiance. Les consultants ont confiance. La gratuité y est sans doute pour quelque chose. Dans un monde où la marchandisation va jusqu’à concerner les organes humains, le « pour rien », en éradiquant toute arrière pensée mercantile, semble susciter la confiance.
Mais cette confiance a peut-être d’autres déterminants, sans doute différents pour chacun des consultants : transfert à une institution établie dans la cité, impact du signifiant « psychanalyse », impact de l’appartenance à une Ecole, réponse à un souci d’éclaircissement sur qui fait quoi, etc…
De ces premières consultations, il s’avère que la psychanalyse appliquée y reprend des couleurs. Sept points méritent d’être soulignés :
- En raison du caractère unique de la rencontre, le temps de la plainte parait raccourci. Très vite le discours bascule, s’offrant ainsi à l’effet subversif de la parole de l’analyste, effet d’où jaillit une implication subjective tenue à distance jusque là.
- Dès lors, le consultant se désincruste du discours commun et de l’idéal social, l’entretien, subrepticement, le singularise.
- Si le consulté a posé pour principe qu’«il n’y a pas de contre indication à la rencontre avec un analyste», alors se trouve-t-il logiquement adossé à la clinique borroméenne, clinique de la suppléance, ce qui a pour effet de libérer le consultant de toute exigence de satisfaction immédiate.
- Les conditions de la rencontre et son caractère unique viennent renforcer la déclinaison pragmatique de l’orientation lacanienne. Pour deux ou trois cas, cette rencontre unique s’est avérée résolutive :
- Pour une personne venue se plaindre des 5 ou 6 psychothérapeutes qu’elle avait préalablement rencontrés, le refus de lui donner des noms, malgré son insistante demande, fit interprétation.
- Pour une autre, affligée par un veuvage récent, la réinscription du deuil comme paramètre de notre condition, provoqua un soulagement immédiat.
- L’offre faite à quiconque, gratuitement, n’en est pas moins soucieuse du cas par cas. Chez le psychanalyste lacanien, ce postulat radicalise sa position subjective et par voie de conséquence, les modalités de son accueil et de son écoute. Cette position du consulté semble apte à déplacer le transfert, de l’idéal collectif largement médiatisé au sujet supposé savoir.
- Ce déplacement, dès lors que la bascule du discours est imputée au savoir du consulté, peut susciter la formulation d’une demande. Ce fut le cas à 5 reprises.
- On a soulevé à juste titre la question du transfert puisque la rencontre, fût-elle unique, en suscite nécessairement un. En réalité, même s’il s’intitule « psychanalytique », le centre ne fait pas une offre de cure. C’est un lieu d’accueil, d’écoute et d’orientation. Mais au cas par cas, pour le consultant, l’offre d’une rencontre peut déboucher sur une demande, si la rencontre, bien qu’unique, a permis de problématiser la plainte.
Conclusion
Trois paramètres semblent donc spécifier l’expérience :
Ce travail a déjà suscité une évolution. Le principe de la rencontre unique s’est assoupli. L’expérience enseigne, en effet, que pour certains consultants, une série d’entretiens s’avère nécessaire comme parcours préalable destiné à faire de la plainte une problématique et du symptôme une question.
Progressivement, le travail des consultés s’est avéré centré sur la plainte car il apparaît que pour une majorité de consultants, nous soyons bien en amont du sujet supposé savoir qu’il s’agit d’instaurer. Le remaniement de la plainte et la modification de la position subjective qui s’en suit nécessitent pour beaucoup plusieurs rencontres.
Lorsque cet aspect des choses aura lui-même été travaillé à la lumière de l’expérience, nous explorerons sans doute les critères logiques du moment où il nous faudra rompre le lien pour qu’il s’établisse ailleurs sous la forme d’un engagement qui cette fois fera intervenir le paiement.
Le centre de consultation psychanalytique ne trouvera sa pertinence qu’à la condition de devenir un centre de la surprise. Le consultant doit s’en retourner subverti dans son discours, étonné dans ses émois, questionné par sa démarche et surpris par ses effets.
Marc Levy
Soirée du 18 décembre 2003 à l’ECF